Depuis qu'il est enfant, Jack Chatwin a des visions. Il voit de façon très réaliste un couple - Visage Gris et Visage Vert - poursuivi par un démon et la troupe de traqueurs sous ses ordres. Qui sont ces créatures ? Où se trouve leur monde, tout en forêts inviolées et en cités blanches aux tours démesurées ?
Les réponses échappent au jeune Jack, jusqu'à ce qu'il rencontre John Garth, un archéologue qui cherche Glanum, une cité mythique qui semble se déplacer sous le sol, ou plutôt sous la réalité. Quelques années après que John Garth a été littéralement happé par Glanum, Visage Gris prend pied dans la réalité de Jack et lui demande de l'aide. Conscient que le sort de deux mondes repose entre ses mains, Jack part à la recherche de Visage Vert, débutant ainsi la plus dangereuse des quêtes.
Mon avis
(attention, spoil possible)
Je retrouve Robert HOLDSTOCK après avoir lu, il y a quelques années, l'intégrale du cycle La forêt des Mythagos, dont le premier récit m'avait fortement marqué (et dont je conseille vivement la lecture).
S'enfoncer dans les univers de HOLDSTOCK, c'est partir en territoire inconnu, explorer les mythes anciens, fondateurs, primitifs. Il faut laisser de côté la morale moderne, les notions de bien et de mal, si l'on veut s'ouvrir au récit et s'imprégner du monde observé.
Dans ce roman, on retrouve d'ailleurs ce qui fait l'essence du premier récit au moins (les autres m'ont moins marqué) de La forêt des Mythagos. Car lire du HOLDSTOCK, ce n'est pas entrer dans un récit de "Fantasy" (quoique vous entendiez par ce terme) pur et dur, avec son lot de quêtes, de chevauchées, de combats dantesques, de châteaux moyen-ageux et tout le tralala dans un monde imaginaire.
HOLDSTOCK, c'est plutôt entrer dans l'imaginaire de notre monde, l'inconscient collectif, la source de nos histoires et de nos rêves avec, à la fois des personnages et créatures fictives et historiques.
Ce n'est pas bien facile à expliquer, alors je vais "pitcher" rapidement le premier récit de la saga des Mythagos : C'est l'histoire d'un homme qui habite près d'un bois. Par la campagne, on peut faire le tour d'un bois en deux heures. Mais si l'on pénètre dans ce bois primitif, on peut marcher des semaines tout droit sans en voir la sortie. Et c'est là que ça commence à devenir intéressant : Il y a des créatures dans ce bois, des figures primitives de, par exemple, Robin des Bois, qui à la fois existent entre les arbres et ne peuvent exister sans que cet homme vienne "imprégner" la forêt de sa culture. De cette forme d'inconscient qui puise ses récits dans des racines immémoriales.
Là, c'est pareil, sauf que c'est différent, Le héros est "imprégné" mais devra plonger en lui-même pour trouver des réponses. C'est à la fois une quête physique et onirique. La cité existe à plusieurs niveaux, en plusieurs temps, dans le monde réel comme dans les profondeurs d'une "culture collective". Cette complexité fait que ce roman n'est pas facile à aborder. On peut s'y perdre comme dans un labyrinthe, car si le monde de Glanum peut se figer dans la réalité, Jack, le héros de l'histoire, peut aussi dans certaines limites, en modeler des représentations qui proviennent de son Moi profond.
Pour autant, il ne faut pas se décourager : les passages abordant la psychanalyse seront parfois difficilement compréhensibles pour la plupart des lecteurs, mais l'auteur y revient régulièrement, par différents biais, et l'on finit par comprendre globalement là où il veut nous amener. Nombreux sont les fans de "Fantasy" qui seront déboussolés, loin de leurs repaires habituels.
Et puis il y a le style de l'auteur. On peut aimer ou pas. Ses décors sont riches, titanesques, complexes et pire : évolutifs. Au fil du récit, il faut sans cesse réactualiser, garder la base et revoir le rester et comprendre la raison de ces changements. En plus, les personnages créés par HOLDSTOCK ne sont pas de simples caricatures, eux aussi ont leur richesse, leurs désirs, leurs peines, leurs intérêts, et eux aussi évoluent au fil du temps. Le style de l'auteur est à l'image de cela : parfois aride, factuel, comme ses déserts, parfois fourni, dense comme ses forêts.
Une fois n'est pas coutume, une :
Conclusion
Je ne saurais que trop conseiller ce roman marquant, mais avant tout à de bons lecteurs, adultes, qui ne reculent pas devant la difficulté. La générosité de l'auteur saura les récompenser. Il y a matière à se laisser soi-même imprégner, à se nourrir dans les racines lointaines, sauvages, tribales presque de La chair et l'ombre.
Pour les autres lecteurs se poseront alors les questions de leur ouverture d'esprit, de leur propre imaginaire, de leur tolérance à une forme de "fantasy initiatique" et à laisser glisser ce qu'ils ne saisiront pas tout de suite avec l'espoir de comprendre un peu plus loin.
Personnellement, le passage intitulé MoPIDA m'a posé quelques soucis au début, mais je pense qu'on peut raccrocher les wagons sans trop de mal ensuite, et j'aurais aimé une fin un peu plus longue, qui ne ferme pas autant le récit. Mais j'ai adoré cette plongée dans la malédiction de Glanum, et puis... comment ne pas tomber sous le charme de Visage-Vert ?